jeudi 27 novembre 2008

Avant-propos


Peut-on imaginer un jeu plus désertique, plus dénué d'émotions, d'imaginaire, de motricité ?

L'alignement explicite de chiffres se combinant par algorithmes produisant eux-mêmes non une cinétique, non une imagerie -- les 2 : un monde virtuel --, mais d'autres séries de chiffres, classés, ordonnés, hiérarchisés -- peut-on trouver un degré du spectacle artistique ou culturel plus zéro que celui-ci ?

La fine pellicule représentative (joueurs, clubs, villes, pays) disparaît vite derrière les chiffres que le joueur est appelé à manier : il joue directement avec les chiffres et les algorithmes, les images passent après, nécessaires mais au minimum et secondairement (le club fétiche, principalement).

Un excellent joueur est tétanisé dans son ambition de contrôler les algorithmes. Plus il les maîtrise, plus la vitesse s'accroît et doit l'accroître : il entre dans une pratique intensive, une concentration intellectuelle et physique au contraire d'euphorique, tétanisée. Raide mort dans sa méditation zen sur les calculs, il atteint le nirvana (épisodiquement à la faveur d'une victoire, la progression chiffrée d'un élément choisi, par exemple le club -- ou sa carrière, ou un joueur donné, etc., ou tous ensemble dans une extase grandiose --, demeurant le point de fuite de sa méditation très sobrement interactive).

Une autre façon de jouer -- parmi d'autres -- consiste à se servir de ce dispositif quelque peu mort pour injecter, voire exprimer, des émotions, de l'imaginaire, et pourquoi pas de la motricité (rarement et même jamais vue, pour celle-ci, à part peut-être chez un storieur, signalant au détour d'une page que sa copine lui proposait de la rejoindre au lit...).

C'est ce que font en un sens les graphistes (mais en un sens seulement), aménageant le confort du jeu -- mais dans le but d'esthétiser et de multiplier les images pour oublier le désert. C'est ce que font, pour l'instant seuls, les auteurs de stories.

Si l'excellent joueur est fait pour le jeu, l'écrivain, lui, fait le jeu, un autre jeu. Le jeu à proprement parler étant une base, une matière à histoires. Le rire et l'étonnement peuvent remplacer l'acharnement concentré, la tétanie faire place à l'euphorie. En prenant prétexte d'être l'image du jeu -- et c'est (en partie plus ou moins grande) en premier lieu le cas --, la story transforme pour le lecteur le jeu en image d'elle-même, incluant parfois des trafics de calculs (grâce aux logiciels de "triche"). La vie reprend ses droits, le jeu comme artefact lui offrant la possibilité de s'exprimer (au sein de la représentation, toutefois -- mais l'on peut imaginer des goûters de joueurs, un commerce de tricots de pochettes pour téléphones mobiles à l'effigie des futurs champions encore jeunes que tous acquièrent en début de partie, des reportages journalistiques auprès d'eux ou pour tester/vérifier les chiffres (les "dires") du jeu, etc.).

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